Toutes
les poires ont des misères. C'est même ce qu'elles connaissent le mieux.
Comme elles ne savent ni le latin ni le beau langage, elles n'écrivent
pas. Elles ne publient ni romans ni poèmes, sont assez décevantes quand
elles racontent leur histoire. Elles n'ont pas de théories brillantes
sur l'existence, tout juste des proverbes. Elles aiment les chansons et
les fables, les mélodies faciles. C'est avec des larmes qu'elles montrent
bruyamment leurs émotions. Elles pensent avec leur chair. Toutes les polices
du monde savent s'y prendre avec les poires. Les malins en viennent vite
à bout. Mais il arrive qu'elles résistent à tous les traitements, même
les plus effroyables, pour sauver ceux qu'elles aiment ou braver l'injustice.
Elles savent depuis toujours que l'homme n'est guère fréquentable, que
sa bonté tient à un fil. Que les saints, les philosophes, les savants
et les héros ne sont pas plus à l'endroit qu'à l'envers du monde. Que
les hommes sont omnivores et crédules. Que les plus dangereux croient
en leurs mensonges, comme le fou de Genève qui jeta cinq enfants sur le
pavé et jura que l'homme naît aussi bon que les poires.
|